Ils étaient 3, ils étaient déjà partis ensemble l’année précédente en Angleterre pour une compétition de parasurf .
Cette année j’intègre l’équipe. La team se compose donc de 4 personnes, toutes avec un handicap:
- Laurent: amputé tibial et hanche opposée arthrodésée
- Benoit: amputé d’un bras avec plexus brachial associé
- Maxime: para incomplet D12
- Katell: tétra incomplète C5C6.
Quand Laurent m’a proposé de rejoindre l’équipe pour ce surf trip …je me suis dit ok, ils sont un peu dingues …ou ils ne connaissent pas du tout les contraintes de mon handicap …mais c’est une opportunité folle pour moi, ça peut être fun ! alors j’ai dit oui !
Un voyage est toujours plein de surprises, celui-là sera un exemple édifiant d’imprévus d’autant plus complexes à gérer lorsqu’on a des contraintes de mobilité !
Débarquement à Bristol. Le temps nécessaire à la procédure de relivraison ultérieure, puisque seuls nos bagages cabines nous ont suivi …les board bags sont restés sur le tarmac à Bordeaux ! Nous sortons donc légers de l’aéroport.
Nous avions loué un van, véhicule le mieux adapté pour y transporter les planches, les valises et les deux fauteuils roulants.
Première surprise : plus de van, nous sommes donc surclassés … et nous retrouvons devant un superbe SUV Mercedes 450GLS, neuf … d’un confort inégalé, mais …absolument pas adapté à nos contraintes de surf trip ! Il va falloir jouer à tétris plusieurs fois par jour pour tout faire entrer ! car à chaque déplacement c’est démontage / remontage des fauteuils ! Bonne nouvelle: c’est une automatique … sinon impossible de prendre le volant. Chacun d’entre nous avons habituellement des adaptations sur nos véhicules perso, pas toujours possible en voiture de loc , C’est Ben qui fera le chauffeur sur la majorité des déplacements, et il va gèrer grave !
Premier constat : apprendre à manager les transferts. Jusque-là je fais mes transferts seule vers ma voiture grâce à une planche que je place entre l’assise de mon fauteuil roulant et le siège conducteur, ici le siège passager est très haut, impossible pour moi de gérer la manip toute seule. On teste un truc, c’est pas vraiment ça, mais je finis quand même par m’installer, on travaillera la technique chaque jour pour trouver la meilleure méthode pour tous. Max y arrive seul, comme quoi avoir des bras fonctionnels peut tout changer !
Et puis commencent les explications sur les fauteuils : oui le dossier se retire, mais il se replie aussi, c’est plus rapide …ça passe ? ou pas ? non ça ce sont les roues de Max, oui ça se ressemble …, le coussin c’est le mien ! une première phase d’apprentissage mutuel, j’apprends à devenir plus précise, à avoir le vocabulaire adéquat pour être plus fluide et compréhensible, et ainsi moins peser sur le groupe. Dans cette configuration, nous sommes installés dans la voiture tandis que les 2 handis « marchants » démontent, portent, rangent. C’est fatigant, surtout quand c’est récurent. Je sais d’expérience que, passés les premiers jours, ça peut devenir une contrainte importante pour les aidants et sans le reprocher aux moins mobiles, des tensions peuvent survenir. C’est ma première inquiétude : ont-ils réellement conscience de l’aide dont j’ai besoin au quotidien ? je suis assez dynamique, j’ai voyagé seule, j’ai déjà dormi dans ma voiture, je suis assez autonome et roots , mais il y a des choses que je ne peux vraiment pas faire seule .
Ok : GPS calé, bouteilles d’eau et barres de céréales pour la route : c’est parti boussole au Nord Ouest ! nous traversons le pays de Galles, les routes sont étroites, nous serrons les fesses à plusieurs reprises …il y a une grosse caution sur notre luxueux carrosse !
Après une escale à New quay (Fistral) pour une compétition , nous reprenons la route vers la wave garden de snowdonia .
Avant tout, il nous faut récupérer nos planches enfin arrivées à l’aéroport de Bristol ! 4H de trajet plus tard Laurent et Ben sont de retour, le temps est compté, nous ferons le check des planches sur le prochain hébergement, un hotel budget qui a l’avantage d’avoir un immense parking pour tout déballer ! Arrivés tard sur place nous prenons 2 chambres : un king size PMR pour moi et une chambre classique où vont s’entasser les 3 garçons …privilège d’être la seule fille , je me sens un peu gâtée ! la baignoire n’a malheureusement rien de PMR, pas grave le plateau, qui la borde devient un siège ou je me doucherais tant bien que mal, inondant largement la SDB , aucune culpabilité …ils n’avaient qu’à faire des douches accessibles !
Objectif de la matinée : inspecter notre matériel livré avec 3 jours de retard … nous ne serons pas déçus !!! toutes les planches ont été abimées, mais la palme reviendra à la mienne, qui a été tout bonnement écrasée au tiers supérieur ! les rails sont enfoncés , le board bag déchiré. Nous prenons le temps de faire un max de photos et un mail de plainte pour dédommagement à Easy jet. Réparation de fortune au scotch , on est venus pour surfer : on va surfer !!!
Nous avons chacun des planches spécifiques, adaptées, shapées en fonction de nos besoins, en effet avec nos contraintes, il est très complexe voire impossible de surfer avec une planche de location.
Nous remballons la marchandise, tout est fixé sur le toit, un petit resto pour se remettre de nos émotions et c’est reparti pour l’étape suivante : direction Manchester !
Nous avons perdu beaucoup de temps le matin, Laurent nous trouve un hotel sur Booking … nous arrivons devant un porche gigantesque, majestueux … l’adresse est bien la bonne ? On pose la merco débordant de planches de surf devant l’entrée, à la Gangsta …avec un peu de mal à croire que nous avons réservé un hotel resort and spa de luxe à ce prix ! ça doit être la compensation pour nos planches défoncées : on signe !
Nous prenons 2 chambres 2 lits, ce sont des queen size, ça va on est à l’aise ! les normes PMR doivent vraiment etre différente en Grande Bretagne parce qu’il y a encore une baignoire …et des toilettes enfoncées dans un recoin ..MAIS …à leur décharge : une barre d’appui de l’autre coté de la baignoire ! encore une SDB pour personnes agées donc …
Lever matinal : c’est reparti ! nous aurons de la chance tout le séjour avec du soleil du matin au soir ! Le paysage est splendide, cours d’eau, ponts, murets de pierres sèches … nous arrivons en fin d’après-midi dans notre location.
A Snowdonia Laurent a réservé sur Air BnB, en précisant logement de plain-pied, demandant confirmation car deux personnes en fauteuil roulant. Sur le papier: c’est parfait !
Nous voilà devant …la maison. typique, jolie , avec de splendides marches en granit devant la porte d’entrée ! Soit, ce n’est que l’entrée …Ben et Laurent m’aident, on y est ! bonne nouvelle : la salle à manger et le canapé sont à ce niveau , mais …c’est tout ! la cuisine est en contrebas, les chambres et la SDB a l’étage .
Ça signifie que je dois dormir sur un canapé, ce qui n’est pas grave en soit …il faut juste que je puisse en sortir seule pour regagner mon carrosse, première angoisse . Bien sûr impossible de me laver, mais surtout d’aller aux toilettes ! Comme la grande majorité des blessés médullaires, l’élimination est un point clé de notre quotidien et pas seulement à cause de l’accessibilité en fauteuil ! en journée on gère le truc en se sondant pour uriner donc en fauteuil, au lit, dans une voiture ce n’est jamais trop un souci (quand vous devrez vous arrêter sur une aire de repos dans le froid, sous la pluie pour aller vous soulager dans des toilettes immondes, vous penserez a moi qui fait ça au chaud et en musique dans mon van 😉 !
Le problème c’est que ce qui ne fonctionne pas à l’extérieur ne fonctionne pas non plus a l’intérieur … si votre corps est paralysé, les organes internes aussi, donc les intestins idem, sans rentrer dans les détails, nous avons une procédure relativement longue avec des étapes pour l’élimination, et sans toilettes le risque ce sont les fuites … je ne fais pas de dessin ? donc à ce moment du périple je suis dans l’expectative, assez effrayée …comment gérer ? je ne dis rien, on vient d’arriver, tout le monde est fatigué, je ne veux pas mettre le probleme sur le tapis …au final je trouverais la solution seule le lendemain !
Autre détail : si la cuisine n’est accessible, ni à moi ni à Max ce sont encore Ben et Laurent, qui vont devoir gérer l’intégralité des repas … ça commence à faire beaucoup !
Après quelques courses rapides, le diner est vite expédié, nous nous écroulons dans un lit ou un canapé ! Max étant plus mobile et sportif que moi, il parvient à se hisser à l’étage .
Au lever et après une toilette a la lingette (on est en trip, ça fait partie du deal !), un thé rapide, nous avons hâte de découvrir le but de notre voyage : Snowdonia !
Snowdonia, unique wavegarden Européen (nous sommes en Juillet 2019), une vague que tout surfeur aimerait découvrir pour sa singularité.
Premier obstacle : ça grimpe !!! je monte en zig zag, Max me pousse, Ben et Laurent amènent les planches, nous y sommes !
Le complexe est gigantesque, on s’y sent bien, il fait beau … impossible de lever les yeux de cette immuable mouvement du mécanisme qui provoque une vague régulière aller et retour, c’est un peu de la magie tout ça !
Nous apprenons que nous devons louer un placement sur la vague et sur un seul côté de celle-ci : advanced , intermediate 1 ou 2 puis beginner 1 ou 2. Je comprends immédiatement que dans mon cas nous risquons d’en perdre une sur deux, le temps de revenir sur le bon placement étant relativement long.
Nous réservons une session en intermediate 1, tous les emplacements Advanced étant déjà bookés pour la journée. Mais avant de prendre la résa nous avons du expliquer au staff la necessité d’avoir des personnes qui ne surfent pas dans l’eau, en lien avec mon handicap et ma façon de surfer. C’est inédit …ils ne savent pas trop …ils sont curieux, alors ils disent ok !
Dans ma catégorie, je surfe en prône (allongée) et poussée au take off par un assistant, mon binôme: j’ai donc besoin d’une bonne puissance de vague pour partir … est ce que ça va être suffisant ? à voir .
Mais avant tout passage aux vestiaires. Je ne peux pas enfiler ma combi seule, c’est impossible . J’y vais quand même et je découvre, oh joie immense ! : une SDB avec toilettes full accessible handi ! mon problème toilettes est résolu, une chance !
Normalement le vestiaire femme n’est donc pas accessible aux hommes …il y a peu de monde, j’explique aux femmes présentes que j’ai besoin d’aide et que c’est un ami qui va entrer pour m’aider à mettre ma combi … grâce à cette immense SDB privative, c’est plus simple, ça le fait !
C’est à nous, il est nécessaire d’enjamber un parapet d’un bon mètre de haut pour accéder au plan d’eau, à l’aide de Ben, de Laurent et de l’un des maitre nageurs, on me fait passer l’obstacle, je me retrouve assise par terre, sur un sol en plastique ajouré .
Je descends en rampant sur les fesses tandis qu’ils passent ma planche et la mettent à l’eau .
Pour cette session Ben sera mon pousseur et Laurent me réceptionnera.
C’est le moment, nous filons sur notre emplacement entre 2 vagues, c’est short, gros effort de poussée pour Ben et aucun répit car la vague ne s’arrête jamais !
C’est à nous, Ben pousse : ça part ! je suis contrainte de m’éloigner du grillage, je perds donc rapidement la puissance de la vague, je manque de vitesse et je suis dans l’impossibilité de finir ma vague.
A la suivante je profite de la chute du gars, qui avait réservé l’emplacement Advanced pour coller vers l’intérieur : waouh ! super sensations, celle-là je la déroule jusqu’au bout: je kiffe !!!
Laurent est en finale, il a un bon visuel sur le déroulé, il me réceptionne et me donne des conseils pour les suivantes. L’intérêt de cette vague artificielle: c’est sa régularité, qui permet de travailler son placement, de tenter des manoeuvres, de corriger, un vrai travail de fond .
30 minutes de pur bonheur ! qui seront réitérées de nombreuses fois !
Je réalise que c’est une première non seulement pour moi, mais aussi pour mes acolytes, c’est la première fois qu’une tétra surfe snowdonia …et avec des assistants handicapés ! nous faisons gros effet sur le public !
C’était fou ! Tout le monde s’est régalé ! Nous fêterons ce premier succès de la team handi avec une mousse bien méritée, devant un joli coucher de soleil sur le plan d’eau, qui se calme avec la fermeture du complexe .
Max, Ben et Laurent feront quelques sessions pour s’entrainer, ils pourront participer dès le lendemain à la première compétition Wales Adaptive Surf ,qui pour cette première édition n’intègre malheureusement pas ma catégorie .
Nous voulons découvrir la région avant de repartir, c’est donc parti pour une journée de ballade à travers le superbe parc naturel de Snowdonia. Quelques stops sur la route, Ben et Laurent sortent mais c’est assez inaccessible, Max a emmené son drone, nous découvrirons au retour les paysages incroyables du plateau, qui surplombe la vallée du haut de ses falaises.
Etape du midi à Abersoch, où devant les bateaux tractés dans la baie avec des tracteurs, nous nous régalerons de pâtisseries et de somatise, arrivés trop tard au déjeuner pour le pays ! il est des us que nous n’avons pas encore bien intégrés !
Retour a la maison et préparation des board bags, fixés sur le toit pas du tout adapté de la voiture par Ben et Laurent … épique mais relativement efficace compte tenu de la compensation nécessaire du handicap de l’un par l’autre et vice et versa !
Arrivés à l’aéroport de Manchester, Max et moi devenons gardiens du chargement déposé en express à l’entrée, tandis que les autres ramènent la voiture de location. Les minutes passent, le timing est short …nous rageons tous les 2 de ne pas pouvoir gérer nous même les board bags alors que la queue devant les ascenseurs s’allonge, passage obligé pour l’enregistrement des bagages …
Ben et Laurent arrivent, on réquisitionne 2 ascenseurs, ça râle, tant pis, nous prenons notre priorité !
Pesée des board bags …le dernier ne passe pas, ils ont stoppé les machines : on est hors délai !!! négociations, ils rouvrent l’enregistrement pour le dernier hors gabarit. Mais il faut ensuite les emmener au guichet adéquat, à l’autre bout de l’aérogare ! Chance: nous avons demandé l’assistance, une petite équipe comprend la problématique, nous aide à porter .
Direction le contrôle sécurité: Un employé zélé nous fait payer notre retard …il va prendre tout le temps nécessaire pour ouvrir la totalité de nos bagages cabine. Il fouille et retourne chaque valise …et jette toutes mes sondes à la poubelle sous prétexte qu’elles contiennent un peu de liquide , c’est du matériel médical indispensable: il n’a pas le droit ! mais nous sommes très en retard, Max a conservé des sondes m’appartenant dans le dossier de son fauteuil, soit , je ne fais pas d’esclandre et je passe !
A l’embarquement, la porte est fermée, et pour cause, on embarque par un escalier. Nous sommes seuls avec notre assistance … Ben et Laurent sont emmenés à pied. Max et moi nous regardons dans le blanc des yeux : ok on est vraiment seuls là ! le terminal est vide, on entend les moteurs de notre avion …ça ne sent pas très bon !
Une jeune femme arrive, nous explique qu’on a de la chance : ayant demandé l’assistance: ils sont contraints de nous accompagner jusqu’à notre siège, nous avons donc retardés le Easy jet Manchester / Bordeaux d’1H ! Le pilote ne manquant pas de nous le faire remarquer avec un humour anglais caractéristique à notre entrée dans l’avion !
A l’arrivée les planches sont bien là, la gestion des voitures n’est pas simple, mais nous y arrivons. Impossible de se quitter sur le tarmac, nous prenons le temps de manger ensemble et d’évoquer cette incroyable aventure sportive et humaine …et celles à venir !
Le bilan est positif, malgré le logement estampillé accessible, qui ne l’est sont pas, une location de van, qui finit en location de voiture de luxe sur laquelle il faut attacher les board bags et rentrer bagages et fauteuils roulants, du système D, de la fatigue, de la musique, du fun, et surtout du Surf ! avec une première mondiale : 4 surfeurs handi sans aucune assistance, qui ont été surfer à Snowdonia .